https://www.youtube.com/watch?v=HUDpnZ8SNfw
マット・デイモンがハワード・ジンの『市民的不服従論』を朗読
(☆日本語字幕付き)
(☆日本語字幕付き)
世界は常にあべこべ
まず私は、こう仮定することから始める。
この世界はすべてがあべこべだと。
すべてが間違っており、
間違った人びとが罪を問われ、
あるいは罪を問われず、
権力を握り、
あるいは権力の座を追われ、
そしてこの国や世界の富が、
小手先の改革ではなく、
劇的な富の再分配を必要とするような
間違った分配のされ方をしている、と。
また私はこう仮定することから始める。
このことについて、異論などある筈もない、と。
なぜなら、ちょっと踏みとどまって
世界の状況のことを考えてみれば
誰でも、この世界のすべてが
あべこべだということに気付くからだ。
もし考えることをせずに、
TVや学者の言うことだけを信じていれば、
「現実はそんなに悪くないさ」
「些細なことがおかしいだけさ」と、
思ってしまうことだろう。
だが、少し離れたところから見てみると、
世界のありようが、見えてくるようになる。
そして、恐ろしくなってくるだろう。
だから、この仮定から始めなければならない。
世界はすべてあべこべなのだと。
「市民的服従」こそが問題
そして、「市民的不服従」という
この話題もまた、実にあべこべだ。
「市民的不服従」を話題にした突端、
「市民的不服従に問題がある」と、
言っていることになる。
問題は、そこにあるのではない。
問題は、「市民的服従」にある。
問題は、世界中の多くの人びとが、
それぞれの政府の指導者の命じるがまま、
付き従ってきたことにある。
そして服従したがために、戦争が起こり、
数百万もの人びとが殺されたことにある。
ナチスドイツがまさに、そうだった。
問題が服従にあったことは、もう分かっている。
人びとは、ヒトラーに従った。
人びとは従った。それが間違いだった。
人びとは疑問を唱えるべきだった。
そして抵抗すべきだった。
我々がその場にいたら、きっと、
そうして見せただろう。
スターリンの時代のロシアでもそうだった。
人びとは従順だった。まるで家畜のように。
封建制度のもと、人びとが搾取された
あの忌まわしき時代のようではないか。
中世は、あまりにも悲惨な時代だったではないか。
しかし現代においては、
西洋文明が栄え、「法の支配」がある。
法の支配がもたらしたもの
「法の支配」は、それ以前に存在した
社会的不正を規則化し、かつ極大化した。
それが、「法の支配」がもたらしたものである。
世界のあらゆる国で、
指導者が法の支配をこよなく愛する一方で、
人びとにとってそれが災いでしかないとき、
我々は気付かなければならない。
我々の思考の中で、
国と国を分かつものを越えなければならない。
権力と戯れる者たち
ニクソン大統領は、我々よりも
むしろブレジネフ書記長と響き合っていた。
フーバー長官は、我々よりも
むしろソ連秘密警察の長官と
はるかに響き合っていた。
法や秩序に対する国際奉仕の精神が、
世界中の指導者たちを、
まるで同志のような堅い絆で結んだ。
だから、我々は常に驚かされる。
彼らが一堂に会すと、必ず笑みを絶やさず、
堅い握手を交わし、仲良く葉巻をふかすからだ。
表で何と言おうと、彼らは本当は
最も響き合った仲なのである。
我々の為すべきこと
では、我々は何を為そうとしているのか。
それは、多分、合衆国の『独立宣言』の理念、
目標、そして精神に立ち返ることであろう。
その精神とは即ち、不当な権力や、生存、自由、
および幸福の追求の権利を奪う勢力に対する
抵抗の精神を意味する。
したがってそのような状況下では
現行の政府を改造または廃止する
権利の発露が要請されるということである。
ここで強調されるのは「政府の廃止」だ。
法の外へ出でよ
しかし、『独立宣言』の理念を確立するためには、
「法の外」へと出なければならない。
殺人を強要したり、これまでのような富の配分を行うこと、
矮小な、厳格な法解釈のみでしか成立しえない罪を問い、
大罪を犯した者の罪を問わないことを求める法に
従うことをやめなければならない。
私の願いは、こうした精神の発露が、この国だけでなく、
他の国々でも起きることだ。なぜなら、どの国にも
必要な精神だからだ。
世界のあらゆる国々の人びとに、
国家に対する不服従の精神が求められている。
それも、抽象的なものではなく、
力と豊かさに溢れるものが。
そして、同じものを希求する世界中の
すべての国々の人びとが、
『相互独立宣言』を行うことが
求められているのだと思う。
Le problème c’est l’obéissance civile
Je pars de l’hypothèse que le monde est sens
dessus-dessous, que les choses vont mal, que ceux qui ne devraient pas
être en prison le sont et ceux qui le devraient ne le sont pas, que ceux
qui ne devraient pas être au pouvoir le sont et ceux qui devraient
avoir plus de pouvoir n’en ont pas, que les richesses, non seulement
dans ce pays, mais dans le monde entier, sont distribuées de telle façon
qu’il ne s’agit pas de faire une petite réforme, mais une refonte
totale du système de redistribution des richesses. Je pars de
l’hypothèse que nous n’avons pas grand-chose à dire là-dessus : il nous
suffit de nous pencher sur l’état du monde actuel pour réaliser que
c’est le chaos.
Daniel Berrigan, prêtre catholique et poète pacifiste, est en prison tandis que J. Edgar Hoover est libre. David Dellinger,
qui dénonce les guerres depuis tout petit avec toute son énergie et sa
rage, risque fort de se retrouver en prison, alors que les responsables
du massacre de My Lai ne font l’objet d’aucune poursuite en justice. Ils
sont à Washington, où ils occupent divers postes plus ou moins
importants en relation avec le déclenchement de massacres, qui les
étonnent quand ils se produisent. A l’université d’état du Kent, quatre
étudiants ont été tués par la garde nationale et des étudiants ont été
inculpés. Dans chaque ville de ce pays, lors de manifestations, ceux qui
sont présents, qu’ils aient manifesté ou pas, quoi qu’ils aient fait,
sont agressés et matraqués par la police, puis sont arrêtés et détenus
pour avoir agressé un policier.
J’ai analysé ce qui se passe tous les jours dans les
tribunaux de Boston, Massachussetts. Vous seriez suffoqué, ou peut-être
pas si vous êtes au courant, si vous avez connu cela, si vous avez
réfléchi à la question, si vous avez été choqué par la série
d’injustices quotidiennes qui s’insinuent au sein de cette merveilleuse
institution qu’on appelle la procédure en bonne et due forme. Eh bien,
c’est là-dessus que je fonde mon raisonnement.
Il vous suffit de lire la correspondance depuis la prison de Soledad de George Jackson,
condamné à une peine de prison allant d’un an à la perpétuité, et qui
est resté dix ans en prison pour avoir braqué une station-essence pour
70 dollars. Et puis, il y a ce sénateur qui est soupçonné de prélever
185 000 dollars par an, ou quelque chose d’avoisinant, sur les
déductions d’impôts pour épuisement des réserves pétrolières.
Pour l’un c’est du vol, pour l’autre c’est légal. Il y
a un problème, il y a un énorme problème quand on véhicule dans tout le
pays 10 000 bombes bourrées de gaz neurotoxiques et qu’on s’en va les
larguer dans le jardin du voisin pour ne pas endommager le nôtre. Alors,
au bout d’un moment, on perd toute notion. Si on ne réfléchit pas, si
on ne s’informe qu’à la télévision ou en lisant les publications
universitaires, on finit par se dire que la situation n’est pas si
catastrophique que cela et que les problèmes ne concernent que des
questions marginales. Mais si on prend un peu de recul, on se rend
compte que c’est l’horreur. Et c’est donc la raison pour laquelle nous
devons partir de l’hypothèse que tout est véritablement chaotique.
Et le sujet de réflexion, la désobéissance civile,
est pris à l’envers. Dès qu’on parle de désobéissance civile, on se dit
que le problème, c’est la désobéissance civile. Ce n’est pas cela, notre
problème… le problème, c’est l’obéissance civile. Notre problème, c’est
le nombre incalculable de gens qui ont obéi aux diktats de leurs
dirigeants et qui sont partis en guerre partout dans le monde entier, et
que cette obéissante s’est traduite par des millions de morts. Notre
problème, c’est cette scène du film « A l’Ouest rien de nouveau
», où on voit des écoliers défiler consciencieusement pour aller faire
la guerre. Notre problème, c’est que les gens sont soumis, partout dans
le monde, face à la pauvreté, à la famine, à la bêtise, à la guerre et à
la cruauté. Notre problème, c’est que les gens obéissent et que les
prisons sont pleines de petits délinquants, tandis que les grands
truands gèrent le pays.
C’est cela, notre problème. On comprend cela quand il
s’agit de l’Allemagne nazie. On sait que le problème, c’est la
soumission, que les gens ont obéi à Hitler. Les gens ont obéi, c’était
mal. Ils auraient dû se rebeller et résister au système et si seulement
nous avions été là, nous leur aurions montré. Même dans la Russie de
Staline, on constate cela : les gens sont dociles, ce sont des moutons.
Mais l’Amérique est différente. C’est ce qu’on nous a inculqué depuis
toujours. Depuis que nous sommes tout petits, j’entends encore ce
discours résonner dans les instructions de M. Frankel,
choisissez une, deux, trois, quatre, cinq choses plaisantes concernant
l’Amérique et que nous ne voulons pas trop voir bousculées. Mais si nous
avons appris quoi que ce soit ces dix dernières années, c’est que ces
belles choses concernant l’Amérique n’ont jamais été belles. Depuis le
début, nous sommes expansionnistes, agressifs, et cruels envers les
autres. Et nous sommes agressifs et cruels envers les gens de ce pays,
et nous redistribuons les richesses de manière très injuste. Et il n’y a
jamais eu de justice dans les tribunaux pour les pauvres, pour les
Noirs, pour les contestataires. Comment peut-on prétendre fièrement que
l’Amérique est unique ? Elle n’est pas unique. Absolument pas.
L’obéissance civile ; eh bien, c’est ce dont nous
allons parler, c’est notre problème. La loi est très importante. Nous
parlons ici d’obéissance à la loi – la loi, cette merveilleuse invention
des temps modernes, que nous attribuons à la civilisation occidentale
et dont nous parlons avec fierté. Le droit, oh, comme ils sont
extraordinaires tous ces cours sur la civilisation occidentale, donnés
dans tout le pays. Souvenez-vous de l’époque sinistre où la population
était exploitée par le régime féodal. Tout était abominable au
Moyen-âge, mais maintenant, nous avons la civilisation occidentale,
l’état de droit. Le droit a normalisé et exploité au maximum l’injustice
qui existait avant lui, c’est cela qu’a fait le droit. Examinons tout
d’abord le système de manière réaliste et non pas avec cette
satisfaction métaphysique avec laquelle nous le considérons depuis
toujours.
Quand, dans tous les pays du monde, le droit est le
chouchou des dirigeants et un fléau pour le peuple, alors nous devons
commencer à reconnaître ceci. Nous devons dépasser les frontières
nationales dans notre réflexion. Nixon et Brejnev
ont plus en commun entre eux que nous avec Nixon. J. Edgar Hoover a
plus en commun avec le chef de la police secrète soviétique qu’avec
nous. C’est cet engagement international aux lois qui crée de solides
liens d’amitié entre eux. C’est pour cela que nous sommes toujours
surpris de voir que, lorsqu’ils se retrouvent, ils sourient, se serrent
la main, fument le cigare ensemble, s’apprécient mutuellement, et cela,
indépendamment de leurs discours officiels. C’est comme les partis
républicain et démocrate, qui prétendent qu’il y aura un grand
changement si l’un ou l’autre l’emporte, et pourtant, c’est toujours la
même chose. Au bout du compte, c’est eux contre nous.
Yossarian avait raison, vous vous
souvenez dans Catch 22 ? Il avait été accusé d’avoir fourni de l’aide et
du réconfort à l’ennemi, ce dont personne ne devrait jamais être accusé
et Yossarian avait alors dit à son ami Clevinger : « L’ennemi c’est celui qui te fera tuer, de quelque camp qu’il soit ». Mais comme ces paroles n’avaient provoqué aucune réaction, il avait ajouté : « mets-toi bien ça dans le crâne, sinon, un jour ou l’autre tu vas te retrouver mort
». Et, souvenez-vous, peu de temps après ça, Clevinger était tué. On ne
doit jamais oublier que nos ennemis ne sont pas séparés par les
frontières, que ce ne sont pas des gens qui parlent une langue
différente et qui vivent dans des territoires différents. Les ennemis
sont ceux qui veulent nous tuer.
On nous dit : « et si tout le monde désobéissait à la loi ? » Mais il vaudrait mieux poser la question : « et si tout le monde obéissait à la loi ?
» La réponse à cette question est bien plus facile à trouver car nous
avons énormément de preuves empiriques de ce qui se passe quand tout le
monde obéit à la loi, ou même quand la majorité de la population le
fait. Ce qui se passe, c’est ce qui s’est passé, ce qui se passe
actuellement. Pourquoi les gens se prosternent-ils devant la loi ? Et
c’est ce que nous faisons tous, même moi je dois lutter, car c’est ancré
au plus profond de moi-même depuis que je suis petit, du temps où
j’étais louveteau. Une des raisons qui font qu’on se prosterne devant la
loi, c’est son ambivalence. À l’époque actuelle, on se retrouve avec
des mots, des expressions qui ont plusieurs significations, comme par
exemple « sécurité nationale ». Ah oui, il faut agir au nom de la « sécurité nationale ». Ok, qu’est-ce que cela veut dire ? La sécurité nationale de qui ? Où ?
La loi recèle bien des choses. La loi, c’est la « Bill of Rights
», la Déclaration des Droits, en fait, c’est ce à quoi on pense en
vénérant la loi. La loi est censée nous protéger, la loi, ce sont nos
droits, la loi, c’est la constitution. Le jour de la célébration de la «
déclaration des droits », il y a un concours de dissertations
sur le sujet organisé par la Légion Américaine, c’est ça, la loi. Et
c’est ça qui est bien.
Mais il y a un autre aspect de la loi qui ne fait pas
l’objet de tant de battage publicitaire – c’est celle qui est en
vigueur jour après jour, mois après mois, année après année, depuis que
la république existe et qui permet de distribuer les richesses du pays
de façon à ce que quelques-uns soient très riches et les autres très
pauvres et que certains courent comme des poulets sans tête pour
s’accaparer les miettes. C’est la loi. Si vous allez en fac de droit,
vous constaterez tout cela. Vous pouvez évaluer tout cela en comptant
simplement le nombre de gros manuels de droit que les gens trimbalent
avec eux et voir combien d’entre eux parlent de « droit constitutionnel » et combien parlent de « propriété », « contrats », « délits », « droit commercial
». Et c’est de cela essentiellement dont il s’agit quand on parle de
loi. La loi, c’est la réduction d’impôts pour l’épuisement des réserves
de pétrole, mais on ne fait pas faire de dissertations là-dessus. Il y a
donc une partie de la loi qui est mise en exergue, voilà la loi, la
constitution et il y a les autres facettes de la loi, celles qui se font
sans bruit, et dont personne ne parle.
Cela a commencé il y a bien longtemps. Quand la
Déclaration des Droits a été adoptée pour la première fois, vous vous
rappelez, dans le premier gouvernement de Washington ? Super ! La Bill
of Rights a été votée ! Gros battage médiatique. Et, parallèlement, le
programme économique d’Alexander Hamilton était adopté
aussi. Sympa, discret, l’argent pour les riches, je schématise, mais pas
tant que cela. C’est avec le programme économique d’Hamilton que tout a
commencé. On peut relier directement son programme économique à la loi
sur les réductions d’impôts pour l’épuisement des réserves de pétrole,
et les dégrèvements d’impôts pour les entreprises. C’est de cela qu’il
s’agit, depuis le tout début. Matraquage pour la Déclaration des Droits,
discrétion pour les lois sur l’économie.
Vous savez, faire respecter les différentes parties
de la loi est aussi important que la publicité faite autour des
différentes parties de la loi. La Déclaration des Droits est-elle
respectée ? Pas vraiment. On s’aperçoit que la liberté d’expression en
droit constitutionnel est une notion difficile et ambiguë. Personne ne
peut vraiment dire à quel moment on peut s’exprimer librement et quand
on n’en a pas le droit. Lisez simplement toutes les décisions de la cour
suprême des Etats-Unis. Parlons-en du caractère prévisible du système
quand on n’a aucune idée de ce qui va arriver si on se met à haranguer
les gens sur la place publique ! Cherchez les différences dans les
affaires Terminiello et Feiner et essayez de deviner comment elles se
sont conclues. En passant, il y a une partie de la loi qui, elle, n’est
pas vague du tout et qui concerne le droit des citoyens de distribuer
des tracts dans la rue. La cour suprême a été très claire là-dessus. A
chacune des décisions qu’elle prend, elle rappelle le droit inaliénable
des citoyens à distribuer des tracts dans la rue. Faites le test.
Descendez dans la rue distribuer des tracts. Un policier va venir vous
voir pour vous dire de partir, vous lui répondez alors : « Ah ah !
Vous ne connaissez pas l’arrêt que la Cour Suprême a rendu à la suite de
l’affaire Marsh contre l’état d’Alabama en 1946 ? » C’est cela la
réalité de la Déclaration des Droits. C’est cela la réalité de la
Constitution, cette partie du droit qu’on nous décrit comme un système
extraordinaire. Et sept ans après l’adoption de la Déclaration des
Droits, qui indique clairement qu’il est interdit au Congrès de voter
des lois visant à limiter la liberté d’expression, le Congrès votait une
loi qui limitait la liberté d’expression. Rappelez-vous. C’était la loi
appelée « Sedition Act » de 1798.
Et donc, on n’a pas fait appliquer la Déclaration des
Droits. C’est le programme d’Alexander Hamilton qui a prévalu, parce
que lorsque les producteurs de whisky se sont révoltés, en 1794 en
Pennsylvanie, rappelez-vous, c’est Hamilton en personne qui s’est
déplacé pour réprimer la révolte afin de veiller à ce que la loi sur
l’impôt sur le revenu soit appliquée. On retrouve la même chose tout au
long de l’histoire jusqu’à nos jours, il y a les lois qui sont
appliquées et celles qui ne le sont pas. Il faut donc être prudent quand
on dit : « Je suis pour la loi, je la respecte profondément et je lui obéis
». De quelle facette de la loi parle-t-on ? Je ne suis pas contre toute
loi. Mais j’estime qu’il faut commencer à bien comprendre ce que font
les lois et pour qui.
Il y a d’autres problèmes concernant la loi. C’est
curieux, les gens pensent que la loi amène l’ordre. C’est faux. Comment
savoir que la loi n’amène pas l’ordre ? Il suffit de regarder autour de
soi. Nous vivons dans un Etat de droit. Et quel ordre avons-nous ? On
vous dit qu’il faut se méfier de la désobéissance civile car elle
conduit à l’anarchie. Regardez bien le monde actuel, où prévaut l’état
de droit. Nous sommes dans une période qui se rapproche le plus de ce
que les gens pensent être l’anarchie – le chaos et le banditisme
international. Le seul ordre qui soit véritablement valable ne vient pas
de la mise en application de la loi, il vient de la construction d’une
société juste, où sont établis des rapports harmonieux et où seule une
réglementation minimum est nécessaire pour créer un ensemble de
dispositions concernant les rapports entre les gens. Mais l’ordre qui
s’appuie sur le droit et la force de la loi, c’est l’ordre de l’état
totalitaire, qui conduit inévitablement soit à une injustice totale,
soit, finalement, à la rébellion- en d’autres termes, à un très grand
désordre.
Nous grandissons tous avec l’idée que la loi est sacrée. Ils ont demandé à la mère de Daniel Berrigan
ce qu’elle pensait du fait que son fils violait la loi. Après avoir mis
le feu à des registres du bureau de conscription, probablement un des
actes les plus violents de ce siècle, pour protester contre la guerre,
il avait été condamné à la prison, comme il se doit pour un criminel.
Ils ont demandé à sa mère âgée de plus de 80 ans ce qu’elle pensait du
fait que son fils avait violé la loi. Elle a regardé le journaliste
droit dans les yeux et lui a répondu : « Ce n’est pas la loi de Dieu
». Et ça, on l’oublie. La loi n’a rien de sacré. Pensez à qui fait les
lois. La loi n’est pas faite par Dieu, elle est faite par Strom Thurmond.
Si on a le moindre sentiment de ce qui est saint, beau et révérencieux
dans la loi, il suffit de bien regarder les élus du pays, ceux et celles
qui font les lois. Aller assister à une session législative de son
état, aller assister à une session du congrès, car ce sont ces gens-là
qui font les lois que nous sommes ensuite censés vénérer.
Tout ceci est fait dans un décorum destiné à nous
berner. C’est le problème. A l’époque, c’était confus. On ne savait pas.
Maintenant, on sait, tout est écrit dans les livres.
Aujourd’hui, nous avons les procédures en bonne et
due forme. Aujourd’hui, il se passe ce qui se passait avant, sauf que
nous respectons les procédures légales. A Boston, un policier s’est
rendu dans un hôpital et a tiré à cinq reprises sur un Noir qui lui
avait donné un coup de serviette de toilette sur le bras et l’a tué. Au
cours de l’audience, le juge décidait que l’acte du policier était
justifié, parce que s’il n’avait pas réagi, il aurait perdu l’estime de
ses collègues. C’est cela qu’on appelle un jugement en bonne et due
forme, à savoir que le type ne s’en est pas tiré comme ça. Il y a bien
eu un procès en due forme et tout s’est arrangé. Le décorum, la
bienséance de la loi nous leurrent.
Le pays, à l’époque, a été fondé sur le non respect
de la loi, et c’est ensuite qu’il y a eu la constitution et la notion de
stabilité comme les appréciaient Madison et Hamilton. Ensuite, nous
avions découvert à certaines périodes cruciales de notre histoire que le
cadre juridique ne suffisait plus, et afin d’abolir l’esclavage, nous
avons dû sortir de ce cadre juridique, comme nous avions dû le faire à
l’époque de la Révolution ou de la guerre de Sécession. L’union a dû
sortir du cadre juridique pour établir certains droits dans les années
1930. Et actuellement, où nous sommes dans une période peut-être encore
plus critique que la révolution ou la guerre de Sécession, les problèmes
sont si abominables qu’ils nous poussent à sortir du cadre légal pour
faire une déclaration, pour résister, pour commencer à créer les
institutions et les relations que doit avoir toute société qui se
respecte. Non, il ne s’agit pas simplement de démolir, mais de
construire quelque chose. Mais même si on cherche à construire ce qui
n’est pas censé l’être, si on essaie, par exemple, de créer un parc
populaire gratuit, ça, ce n’est pas détruire, on construit quelque
chose, mais c’est interdit, alors, la police privée arrive pour vous
obliger à partir. C’est la forme que va prendre de plus en plus la
désobéissance civile : des gens qui tenteront de construire une nouvelle
société au sein de l’ancienne.
Et le droit de vote et les élections ? La
désobéissance civile ? Il n’y en pas besoin, nous dit-on, parce que nous
pouvons passer par le processus électoral. Nous devrions le savoir,
depuis tout ce temps, mais peut-être que non, car nous avons grandi avec
la notion que le bureau de vote était un lieu sacré, presque comme un
confessionnal. Vous entrez dans le bureau de vote, vous en ressortez, on
vous prend en photo et votre visage au sourire béat est publié dans
toute la presse. Vous venez de voter, c’est ça, la démocratie. Mais si
on lit ce que disent les politologues – mais qui en est capable ? – du
processus électoral, on constate que c’est une supercherie. Les états
totalitaires adorent les élections. Ils font déplacer les gens pour
voter et enregistrent leur bénédiction. Je sais qu’il y a une
différence, ils n’ont qu’un parti, nous, nous en avons deux. Vous voyez…
Nous avons un parti de plus qu’eux…
Ce que nous tentons de faire, je suppose, c’est de
revenir véritablement aux principes, aux objectifs de la Déclaration
d’Indépendance. L’esprit de la résistance à l’autorité illégitime et à
des forces qui privent les gens de leur vie, de leur liberté, de leur
droit à la quête du bonheur et donc, dans ces conditions, il incite au
droit de réformer ou d’abolir la forme actuelle de leur gouvernement, et
surtout d’abolir. Mais pour établir les principes de la déclaration
d’indépendance, il va falloir sortir du cadre légal, cesser d’obéir à
des lois qui imposent de tuer ou qui répartissent les richesses de la
façon dont cela a été fait, ou qui mettent les gens en prison pour des
petits délits et laissent en liberté des gens qui ont commis des crimes
abominables. Mon espoir c’est que cet esprit de résistance naîtra non
seulement dans ce pays, mais également dans d’autres pays car ils en ont
tous besoin. Les peuples de tous les pays ont besoin de cet esprit de
désobéissance à l’Etat, qui n’est pas un concept métaphysique mais une
entité qui allie force et richesses. Il nous faut une sorte de
Déclaration d’Interdépendance entre les peuples de tous les pays du
monde qui luttent pour la même chose.
Howard Zinn (1970)
source
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article5274
http://www.cercledesvolontaires.fr/2013/11/27/matt-damon-lit-un-discours-dhoward-zinn-sur-la-desobeissance-civile-quenelle-dans-loeil-du-systeme/
http://in-the-eyes-of-etranger.blogspot.be/2013/11/blog-post.html
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